13 Novembre 2018

À la source des ondes kilométriques de Saturne

Grâce aux données de la mission Cassini, les scientifiques décryptent les mécanismes des émissions radio aurorales aux pôles de Saturne. Des éléments clés pour comprendre certaines caractéristiques de la géante aux anneaux. Entretien avec Laurent Lamy, astrophysicien au LESIA (Observatoire de Paris) et auteur principal de l’article paru dans Science.

C’est le monde de l’invisible. Une magnétosphère se forme lorsque le vent solaire, constitué de particules chargées électriquement (on parle de plasma), vient se heurter au champ magnétique d’une planète comme Saturne, Jupiter, Neptune, Uranus, Mercure ou la Terre. En son sein, les mouvements du plasma sont dominés par le champ magnétique de la planète hôte. L’activité électrique intense de la magnétosphère accélère des électrons qui, guidés jusqu’aux pôles magnétiques, dissipent leur énergie cinétique. Au contact de la haute atmosphère, cela crée des aurores observables à la fois dans les domaines de l’ultraviolet, du visible et  de l’infrarouge.

Mais quelques milliers de kilomètres au-dessus sont également produites des émissions radio aurorales : des ondes électromagnétiques basse fréquence émises entre 1 et 1300 KHz, soit des longueurs d’onde de plusieurs kilomètres. Ce rayonnement est connu sous le nom de rayonnement kilométrique de Saturne.

« Ces émissions radio font partie de la famille des aurores, et leur observation présente un avantage : elles peuvent être observées en continu grâce à des antennes électriques qui n’ont pas besoin d’être orientées vers Saturne, contrairement aux spectro-imageurs classiques. » explique Laurent Lamy. Ce rayonnement fournit une mine d’informations sur la magnétosphère de Saturne. Par exemple, sa pulsation périodique est directement liée à la rotation du champ magnétique tandis que ses intensifications soudaines, qui peuvent durer plusieurs jours, signalent des orages auroraux causés par un vent solaire actif.

Traverser les sources du rayonnement

Les orbites de la sonde Cassini en 2016-2017, « F-Ring » puis « Grand Finale » (proximal).

La sonde Cassini embarquait une suite d’instruments plasmas, dont l’instrument radio RPWS (Radio and Plasma Wave Science), constitué d’une panoplie de senseurs et de récepteurs. Il comprenait en particulier 3 antennes électriques de 10 mètres de long, connectées au récepteur haute fréquence français HFR (High Frequency Receiver), construit en 1995 au LESIA (ex-DESPA) avec le soutien du CNES. Ce récepteur a fourni des données d’une qualité exceptionnelle et de manière quasi-continue depuis le lancement (fin 1997) jusqu’au dernier jour de la mission (fin 2017).

« Un instrument radio de ce type apporte deux types d’information complémentaires. Il mesure les émissions électromagnétiques à distance et peut analyser in situ le plasma traversé par la sonde. Lors du « Grand Finale » Cassini a effectué une série d’orbites polaires au plus près de la planète, traversé les sources où le rayonnement kilométrique prend naissance et pris des mesures in situ uniques. L’étude de la précédente série d’orbites a pu se focaliser sur les sources radio basse fréquence du rayonnement kilométrique, celles qui se situent au plus loin de la planète, entre 2,5 et 3,5 rayons planétaires de distance. » décrit Laurent Lamy.

L’étude du mécanisme d’émission du rayonnement a livré ses premières conclusions. Elle a confirmé qu’il est identique à celui qui produit les émissions radio aurorales terrestres, une instabilité de plasma électrons/ondes connue sous le nom de Maser Cyclotron. Pour fonctionner, ce mécanisme nécessite deux conditions : la présence d’électrons énergétiques et d’un milieu plasma peu dense et très magnétisé, comme celui qu’on trouve dans les régions aurorales.

En attendant les résultats du « Grand Finale »

« Notre première surprise a été de constater le faible nombre de sources radio traversées, malgré une trentaine de passages très similaires de la sonde au-dessus de chacun des pôles magnétiques. Cela illustre que les sources radio basse fréquence sont très variables avec le temps et la position de la sonde. De plus, nous avons découvert que c’est la densité du plasma qui, en croissant soudainement de plusieurs ordres de grandeur, « coupe » l’instabilité. Cela nous donne des renseignements très intéressants sur la magnétosphère interne de Saturne. » explique Laurent Lamy. L’enjeu est maintenant de déterminer l’origine d’une telle variation de la densité de plasma près des pôles. Un an après la fin de la mission Cassini, la majorité des données du « Grand Finale » reste encore à étudier, ce qui représente encore de nombreuses années de travail. Et le « Grand Finale » révélera sans doute d’autres résultats inattendus …

« Par une coïncidence du calendrier des missions spatiales, la mission Juno est arrivée en orbite polaire autour de Jupiter mi-2016 avec des objectifs scientifiques identiques à celles du « Grand Finale » de Cassini, et a effectué des mesures plasmas très complémentaires. Grâce à cela nous avons pu faire de la planétologie comparée entre deux planètes géantes très différentes. C’est certainement un âge d’or pour la physique aurorale planétaire ! » s’enthousiasme Laurent Lamy. Et mieux comprendre la physique complexe des émissions radio aurorales des planètes accessibles à l’exploration est un enjeu important pour comprendre les émissions radio des exoplanètes que nous ne pourrons jamais visiter.

Publication

« The Low Frequency Souce of Saturn’s Kilometric Radiation » L.Lamy et Al, Science, 5/10/2018

Contacts

  • Laurent Lamy, astrophysicien au LESIA : laurent.lamy at obspm.fr
  • Francis Rocard, responsable du programme d'exploration du système solaire du CNES : francis.rocard at cnes.fr

L’instrument RPWS (Radio and Plasma Wave Science). Crédits : NASA