19 Septembre 2018

Le complexe hexagone au pôle Nord de Saturne

L’étude des données de la sonde Cassini montre qu’un vortex à plus de 300 kilomètres d’altitude au-dessus du pôle Nord de Saturne dessine le même hexagone que celui observé dans les nuages en profondeur depuis 1980. Interview avec Sandrine Guerlet, co-auteure et astrophysicienne au Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD) à Paris.

13 ans et 76 jours : c’est la durée qu’a passé la sonde Cassini autour de Saturne, la seconde géante gazeuse du Système Solaire, fournissant un trésor de données. Dès son arrivée, elle a pu tourner ses instruments de mesure vers le gigantesque hexagone formé par les nuages de la troposphère (la « surface » pour ainsi dire) au pôle Nord de Saturne. Observée pour la première fois lors du survol de la géante en 1980 par Voyager 1, cette complexe formation est difficilement visible depuis la Terre … Mais si Cassini pouvait rapidement faire ses relevés, pour certains instruments les chercheurs ont dû attendre que les bonnes conditions soient réunies. C’était le cas de CIRS (Composite InfraRed Spectrometer) « Lorsque la sonde est arrivée en 2004, l’hémisphère Nord et son hexagone étaient au milieu de l’hiver et nous avions trop peu de signal pour étudier la moyenne atmosphère, entre 200 et 400 kilomètres d’altitude, car les températures étaient trop froides pour l’instrument (-158°C). Au fil des changements de saison (une année dure presque 30 ans sur Saturne) avec l’arrivée du printemps en 2009, puis le début de l’été en mai 2017, les températures ont grimpé d’environ 30°C et les mesures avec CIRS ont été de plus en plus claires » confirme S. Guerlet.

Une frontière en hexagone

Loin de fournir une image globale des températures au pôle, CIRS fournissait une mesure du spectre infrarouge : il fallait du temps, avec l’assemblage et l’interprétation de nombreuses données pour constituer une carte des températures de la moyenne atmosphère. « C’est en analysant ces vents chauds, ce vortex, que nous avons eu la surprise de constater qu’il avait les mêmes frontières que le célèbre hexagone de Saturne, situé 300 kilomètres en-dessous », détaille S. Guerlet « On ne s’y attendait pas, c’est même un peu contre-intuitif car on ne pensait pas que le jet-stream pouvait se propager et influencer la stratosphère à une telle altitude. Non seulement cela montre qu’il y a une dynamique très particulière au pôle Nord, mais aussi que cet hexagone est plus complexe qu’on ne l’imaginait ».

Légende : Évolution cartographiée de la temperature pour l’hémisphère Nord de Saturne entre 2013 et 2017. Crédits NASA/JPL-Caltech/University of Leicester/GSFC/L.N. Fletcher et al, 2018

La physique de la formation hexagonale au niveau des nuages de Saturne est bien établie : un fort courant jet à 360 km/h, déformé par des perturbations atmosphériques qui créent des méandres réguliers. « Nous arrivons à reproduire cette structure grâce à nos modèles, sauf en ce qui concerne sa grande stabilité dans le temps », explique S. Guerlet. Reste maintenant à expliquer ce second hexagone au-dessus du premier. Est-ce une « empreinte » induite par les vents à basse altitude, une propagation verticale des ondes et de l’énergie du courant jet troposphérique ou bien un autre phénomène qui produirait le second hexagone ?

Modéliser les géantes gazeuses

Expliquer pourquoi ce vortex a une forme hexagonale pourrait également aider à la compréhension des phénomènes au sein même des épaisses couches de nuages et leur influence sur leur environnement. Les futures études devront inclure des modèles plus complexes. « Saturne s’y prête bien, l’environnement est parfait pour travailler sur la dynamique des fluides et des courants entre autres car il n’y a pas de perturbations comme sur Terre qui sont liées à la géographie du terrain. Au Laboratoire de Météorologie Dynamique, nous avons l’occasion d’étudier ces régimes dynamiques sur les planètes gazeuses, y compris maintenant pour Jupiter grâce aux données de la sonde Juno, mais chaque cas est particulier. Il n’y a pas de courant jet aux pôles de Jupiter, tandis qu’au pôle Sud de Saturne, on ne retrouve pas d’hexagone », décrit S. Guerlet. Une asymétrie entre les hémisphères de Saturne qui se retrouve aussi dans la stratosphère, où les températures établies au Nord n’ont pas atteint celles mesurées au Sud au cours de la mission de Cassini, qui s’est désintégrée comme prévu dans l’atmosphère de Saturne en septembre 2017.

« Disposer de quelques années supplémentaires aurait été royal ! Cela nous aurait permis de poursuivre nos mesures tout au long de l’été de l’hémisphère Nord et d’établir des conclusions après une demi-année saturnienne. Mais c’est déjà grâce à une extension de mission de Cassini que nous avons pu dévoiler ce second hexagone … Donc c’est une petite frustration, conclut S. Guerlet, mais avec une belle découverte ». En attendant de prochaines missions vers Saturne qui pourraient apporter une réponse définitive, il reste une part significative des données de Cassini à exploiter … tandis que les plus imposants des télescopes terrestres, malgré la distance, peuvent apporter des données de plus en plus sensibles et précises.

Publication

« A Hexagon in Saturn’s Northern Stratosphere Surrounding the Emerging Summertime Polar Vortex », L. N. Fletcher et al, Nature Communications, 2018

Contacts

  • Sandrine Guerlet, chercheuse CNRS au Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD), sandrine.guerlet at lmd.jussieu.fr
  • Francis Rocard, responsable des programmes d'exploration du Système solaire au CNES, francis.rocard at cnes.fr

L’hexagone visible dans les nuages au Pôle Nord de Saturne, vu par la sonde Cassini.
Crédits : NASA/JPL-Caltech/Space Science Institute, 2017.