5 Octobre 2018

Cassini révèle des tempêtes de poussière géantes sur Titan

Observées à l'équateur, ces gigantesques tempêtes de poussière s’élèvent jusqu’à 10 km d’altitude. Mars et la Terre ne sont plus les seuls astres du système solaire à héberger de tels phénomènes. 3 questions à Sébastien Rodriguez, planétologue à Institut de physique du globe de Paris et 1er auteur de cette découverte publiée dans Nature Geoscience le 24/09/2018.
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Illustration d'artiste d'une tempête de poussière sur Titan. Crédits  : Ron Miller.

 

Comment avez-vu découvert ces tempêtes de poussière ?

Sébastien Rodriguez : Grâce à notre base de données des sursauts de brillance dans l’infrarouge observés par l’instrument VIMS (le spectro-imageur dans le visible et l’infrarouge, NDLR) de la sonde Cassini. La grande majorité de ces sursauts —notre base de données en contient plus de 300— sont des nuages d’hydrocarbures, aujourd’hui bien connus et répertoriés. Mais 3 nous ont interpellés. Ils se distinguaient nettement des autres, notamment par leur couleur très particulière dans l’infrarouge (plutôt rosée), leur localisation (juste au dessus des dunes équatoriales), leur timing (observées à l’équinoxe entre 2009 et 2010), et leur courte durée (entre 11 h et 5 semaines terrestres).

On a exploré toutes les hypothèses pour percer leur origine. Ces sursauts particuliers étaient-ils liés à des phénomènes de surface : dépôt de givre de méthane ou cryolave, tous deux potentiellement très brillants dans l’infrarouge ? Étaient-ils liés à des phénomènes atmosphériques : nuages de méthane liquide ou, plus inhabituel, de particules solides ? Une seule explication est restée : ces sursauts sont la marque infrarouge de gigantesques nuages de poussière soulevés depuis les dunes équatoriales de Titan.

Les 3 sursauts de brillance rosée observés par la sonde Cassini dans l'infrarouge. Crédits : NASA/JPL-Caltech/University of Arizona/University Paris Diderot/IPGP/S. Rodriguez et al. 2018.

De quoi sont constituées ces poussières ?

Ce sont de minuscules particules solides d’hydrocarbures, à la composition exacte encore inconnue, formées de carbone, d’hydrogène et d’azote (et peut-être d’une faible quantité d’oxygène). Des expériences de laboratoire ont montré que ces particules peuvent s’apparenter à de la suie organique, tirant vers le brun, d’un certain point vue de même nature que les particules d’hydrocarbures produites par la pollution automobile ou industrielle, mais ici produites de manière tout à fait naturelle !

Sur Titan, ces particules se forment très haut dans l’atmosphère par une suite complexe de réactions chimiques impliquant des molécules carbonées et azotées présentes en abondance dans son atmosphère. Ces particules finissent par retomber en une pluie d’aérosols jusqu'à la surface du satellite, s'y accumulant depuis des centaines de millions d’années en une couche épaisse de sédiments. On pense notamment que ces particules composent les dunes équatoriales de Titan.

Faut-il imaginer des vents violents sur Titan pour soulever ces poussières organiques ?

Oui et c’est sans doute LA grande surprise de notre travail. Pour soulever de telles quantités de poussière jusqu’à 10 km altitude, nous avons calculé qu’il faut des vents très forts pour Titan, au minimum de 2 m/s (7,2 km/h, NDLR). C’est près de 5 fois supérieur aux vents de surface mesurés par la sonde Huygens en 2005. C'est aussi bien supérieur aux prédictions de la plupart des modèles climatiques de Titan. Le plus probable est que ces vents, violents et éphémères, soient produits au front de gigantesques orages de méthane. Ce mécanisme est bien connu sur Terre, ce sont les fameux “haboobs” des déserts. 

L'existence de ces rafales de vent générant ces tempêtes de poussière, même transitoires, implique que le sable juste en dessous peut, lui aussi, être mis en mouvement et que les dunes couvrant les régions équatoriales de Titan continuent d’évoluer, tout comme les dunes terrestres et martiennes. Outre ces vents violents, il faut aussi imaginer des dunes actives même sur cette lune lointaine et glacée qui n'a pas fini de nous étonner ! 

Sébastien Rodriguez, planétologue à l'IPGP.  

  

Illustration d'artiste d'un survol de Titan par la sonde Cassini. Entre 2004 et 2017, Cassini a survolé en moyenne une fois par mois, la plus grosse des lunes de Saturne. Crédits : NASA/JPL-Caltech.

 

  

Champs de dunes découvert en 2005 par le radar de Cassini sur Titan. Les tâches blanches ne sont pas des nuages mais des particularités topographiques. Crédits : NASA-JPL.

le CNES et la mission Cassini-Huygens

La mission Cassini-Huygens est un projet de coopération internationale entre la NASA, l'ESA et l'Agence spatiale italienne. Le CNES a participé à la réalisation de la moitié des expériences scientifiques embarquées sur l’orbiteur Cassini qui a plongé dans l'atmosphère de Saturne en septembre 2017. Aujourd'hui, le CNES finance des post-doctorants pour le traitement des données. Certains travaillent dans l'équipe de Sébastien Rodriguez.

 

Référence bibliographique 

Contacts

  • Sébastien Rodriguez, professeur associé de l'Université Paris Diderot à l'IPGP, rodriguez at ipgp.fr
  • Francis Rocard, responsable du programme Système Solaire au CNES, francis.rocard at cnes.fr