6 Septembre 2017

Cassini : objectif lunes

En 13 ans, la sonde Cassini a observé Saturne et consacré beaucoup d’attention à ses lunes. A l’occasion de la fin de cette mission, revenons sur les découvertes faites sur ces satellites naturels avec Patrick Michel, astrophysicien et planétologue, directeur de recherche au CNRS à l’Observatoire de la Côte d’Azur à Nice.

Un modèle de formation des planètes

La plupart des satellites de Saturne se sont formés à partir de ses anneaux de glace, grâce au mécanisme d’accrétion. Pourtant malgré cette origine commune, les lunes ont une très grande diversité. Titan est assez gros pour avoir une atmosphère, il est même le seul satellite à avoir des composés liquide à sa surface, sous la forme d’hydrocarbures. Encelade quant à elle possède des geysers, et également un océan d’eau liquide sous son épaisse couche de glace. Pan et Atlas se remarquent par une crête équatoriale dans le plan des anneaux. Tout comme Japet, qui en plus possède une face claire et une face sombre sûrement constituée de molécules organiques.
« La taille et la forme de chacun nous donnent des informations précieuses, explique Patrick Michel. La plupart des satellites de taille moyenne sont assez sphériques donc leur résistance doit être assez faible pour que la gravité domine. Pour les plus petits, c’est l’inverse : entre 200 et 700 km de diamètre, avec des densités variées mais relativement faibles, leur gravité est trop petite pour compenser leur résistance, ce qui donne ces formes très irrégulières ».

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Deux vues en perspective de la petite lune Pan (34 km). Crédits : NASA/JPL/Space Science Institute

Comme l’expliquait Sébastien Charnoz dans l’article sur les anneaux de Saturne, un des intérêts d’étudier Saturne est de découvrir comment des lunes se forment encore aujourd’hui à partir des anneaux :
« L’idée est de reconstruire l’histoire de Saturne et de retracer celle de notre Système solaire, complète Patrick Michel. La nébuleuse qui a constitué le Soleil avait un nuage de poussière dont sont issues les planètes, et de son côté Saturne a un anneau et un champ magnétique qui perturbe ce disque, comme le Soleil. La façon dont les lunes et les planètes s’accrètent présente quelques similitudes, mais l’analogie entre le Soleil et son disque et Saturne et ses anneaux n’est pas aussi extrapolable qu’on aurait pu le penser au début de la mission. Si Saturne est née sans son disque, si les anneaux de Saturne sont apparus après, alors les choses ne se sont peut-être pas passées comme pour le disque protoplanétaire. Sans compter que les anneaux sont faits de glace, alors que le disque protoplanétaire était constitué de gaz et de poussière dont la composition dépendait de la distance au Soleil. »

Dans le sillon des anneaux

Actuellement, Saturne possède 53 lunes confirmées et 9 autres lunes provisionnelles (qui n’ont pas encore de nom) pour un total de 62. En effet la présence de certaines a été déduite, mais pas directement observée parce que les satellites produisent des ondes, des vagues dans les anneaux. Le sillon peut être visible, mais pas forcément le satellite lui-même.
« Dans le cas où le satellite est détecté par sa seule influence, nous pouvons en déduire sa taille, mais pas ses propriétés physiques, explique Patrick Michel. C’est la différence entre extrapoler une observation, et pouvoir l’observer. Il y a des critères bien spécifiques pour confirmer l’existence d’une lune. Il faut notamment établir une orbite précise. Donc tant qu’on ne voit pas une lune, on ne peut pas la nommer. Pour cela entre autres, il serait intéressant de retourner voir Saturne avec des technologies d’aujourd’hui : plus la résolution est importante, plus les petits objets qui peuvent perturber les anneaux deviennent visibles ».

Au-delà de Cassini

Entre la découverte de nouvelles lunes, l’analyse de leur composition, de leur dynamique, et de leur formation, Cassini a amené beaucoup de progrès  dans la compréhension de ces satellites naturels. Surtout de la plus grosse lune de Saturne, Titan, où elle a pu y poser la sonde Huygens en janvier 2005.
« Titan est une prouesse de l’Europe, commente Patrick Michel. C’était un monde inconnu, nous savions qu’il avait une atmosphère mais si opaque que nous ne savions rien de sa surface. Avoir pu y entrer et voir l’atterrissage de Huygens comme si nous y étions, c’était incroyable. L’ESA a renouvelé l’exploit plus récemment avec Philae qui s’est posé sur la comète Tchouri. C’est l’avantage de la planétologie sur l’astrophysique : nous pouvons nous rendre sur place. Mais ce sont des missions tellement délicates et coûteuses que les agences spatiales hésitent de plus en plus à prendre les risques qui y sont liés. Ce serait dommage de nous priver de ce genre d’aventures fabuleuses qui peuvent inspirer les jeunes et leur donner le goût des défis. »

Alors quel est l’avenir pour l’exploration du système de Saturne ? Plusieurs projets sont actuellement à l’étude pour retourner sur Titan ou se poser sur Encelade. À la NASA, il est notamment question d’un sous-marin pour explorer les lacs de méthane de Titan. Mais si aucune mission n’est encore vraiment décidée pour prendre la relève de Cassini, sa destruction dans l’atmosphère de Saturne ne sera pas la fin de sa contribution à la science.
« Il y a un avant et un après Cassini : avant il y a le travail pour construire et envoyer la sonde, et après il y a l’exploitation des données qui durera encore longtemps après la fin de la mission pour continuer à faire de nouvelles découvertes. Cassini va encore porter des carrières de scientifiques, et inspirer de futures générations. C’est un encouragement pour que ce genre d’expériences continue. »

Pour en savoir plus

Contacts scientifiques

  • Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire au CNES, francis.rocard at cnes.fr
  • Patrick Michel, astrophysicien et planétologue, directeur de recherche au CNRS à l’Observatoire de la Côte d’Azur à Nice, michelp at oca.eu