8 Septembre 2017

Cassini, un regard sous la glace d’Encelade

En plus de Saturne et de ses anneaux, une grande partie de la mission Cassini a été consacrée à l’étude des satellites. Parmi ceux qui ont été les plus riches en découvertes se trouve Encelade, un monde gelé et pourtant étonnamment actif. Revenons sur son exploration avec Gabriel Tobie, chargé de recherche CNRS au laboratoire de planétologie et géodynamique de l’université de Nantes.

Une boule de neige en orbite

En terme de distance, Encelade est la 14e lune de Saturne, et se trouve située dans l’anneau E, le plus externe et dont elle est d’ailleurs à l’origine. Avec ses 500 km de diamètre (10 fois moins que Titan et presque 7 fois moins que notre Lune), elle avait pourtant attiré dès le début l’attention des scientifiques qui avaient prévu de la survoler à plusieurs reprises par Cassini.

« Nous avions déjà quelques images fournies par la mission Voyager en 1981 qui avaient révélé des choses assez étonnantes, se souvient Gabriel Tobie. Certaines parties étaient assez cratérisées, révélant que la surface avait conservé les traces d’impacts et avait donc peu d’activité. À l’inverse, d’autres régions présentaient des déformations tectoniques qui sont le signe d’une activité interne. Et curieusement sa surface était très claire, très brillante, au point d’en faire l’objet le plus réfléchissant du Système solaire. Comme si Encelade était recouverte de neige pure même sur la face cratérisée, ce qui suggérait un matériau poudreux qui se déposait sur toute sa surface. »

Des geysers de glace

bpc_cassini_geysers.jpg
Les geysers au pôle sud d’Encelade. Crédits : NASA/JPL-Caltech/Space Science Institute

Le mystère a trouvé son explication en juillet 2005 lorsque Cassini a survolé le pôle sud de la lune, qui n’avait encore jamais pu être observé : vu à contre-jour des jets de matière permanents sont apparus, expulsant de la vapeur d’eau et des grains de glace en continuité jusque dans l’espace à travers la couche de glace de sa surface.

«  Nous avons pu observer des variations d’intensité du panache au rythme des marées exercées par Saturne sur Encelade, soit à une période de 33 heures. Et il y a eu une baisse entre 2012 et 2017 qui n’est pas complètement comprise, mais l’éruption est permanente. »

Durant la mission nominale (2004-2008), 5 survols proches étaient déjà prévus pour Encelade. Mais après que les geysers aient été détectées en juillet 2005, Cassini a pu réaliser 22 survols au total pendant la phase de mission étendue. La sonde a ainsi pu passer à de multiples reprises dans les panaches de glace pour échantillonner la matière. L’analyseur de poussière CDA (Cosmic Dust Analyzer) a réussi à identifier des grains de glace contenant des sels, ayant la même composition que l’anneau E, tandis que le spectromètre de masse INMS (Ion and Neutral Mass Spectrometer)  a détecté du dioxyde de carbone, de l’ammoniac, du méthane et de l’hydrogène mélangés à la vapeur d’eau.

« Dès l’époque de Voyager, la communauté scientifique avait déjà des hypothèses sur le fait que l’anneau E de Saturne puisse être constitué de grains de poussière éjectés d’Encelade. Mais il fallait encore observer ces geysers, et les analyser pour établir un lien de parenté avec l’anneau dans lequel elle se trouve. Des molécules organiques assez complexes ont même pu être détectées dans la vapeur d’eau, mais Cassini passait trop vite dans les panaches, nous n’en avons obtenu que des fragments. Il faudra y retourner pour en apprendre davantage. »

Un océan sous la surface

Alors d’où provient toute cette eau ? Il a fallu 10 ans entre la découverte des geysers et le fait de pouvoir déterminer s’ils provenaient d’un réservoir d’eau, de poches sous la glace, ou d’un véritable océan interne.

« C’est la caméra ISS (Imaging Science Subsystem) de Cassini qui a permis en 2015 d’identifier les mouvements de libration d’Encelade, explique Gabriel Tobie. Les oscillations de la lune sur elle-même nécessitent une couche d’eau liquide interne entre la surface et le noyau, donc il y a bel et bien un océan qui recouvre Encelade sous toute sa surface. Et nous avons même pu en déduire l’épaisseur de la couche de glace, entre 20 et 25 km en moyenne, et plus fine aux pôles avec probablement moins de 5 km. »

Pourtant la température qui règne à la surface de la lune est plus que polaire avec ses - 200°C. Et pour que l’eau soit liquide, elle doit atteindre au moins 0°C. Comment expliquer un écart de 200°C sur une profondeur aussi faible ? Avec quelle source de chaleur interne ? La réponse se trouve au centre d’Encelade, dans son noyau.

« Encelade a une concentration radioactive comparable à la Terre, mais son noyau est juste trop petit pour générer suffisamment d’énergie pour maintenir à la température interne au-dessus de 0°C. Il n’y a qu’un seul mécanisme qui peut augmenter la température à l’intérieur d’un corps, ce sont encore une fois les forces de marée. La chaleur vient des déformations dans le noyau causées par la gravité de Saturne sur son satellite. Les forces de frottement de la roche, que l’on pense poreuse et remplie d’eau, dissipent de la chaleur dans le noyau, élevant la température localement au-dessus de 100°C.  La circulation d’eau chaude provenant du noyau poreux peut ainsi maintenir l’océan interne, à une température clémente, entre 0 et 2°C en moyenne. En comparaison, le température moyenne de nos océans terrestres en profondeur est de 4°C ».

Une autre piste en faveur de cette énergie interne provenait des analyses de Cassini, qui avait détecté des grains de silice de taille nanométrique, signes de sources d’eau chaude. Une hypothèse confirmée en avril 2017 par la détection d’hydrogène.

« L’hydrogène est un gaz très volatil, qui aurait dû disparaître il y a longtemps, poursuit Gabriel Tobie. Il y a donc une source interne, l’interaction d’eau chaude avec de la roche semble la plus probable. C’est la réaction de serpentinisation qui casse la molécule d’eau et produit notamment cet hydrogène qui ensuite s’échappe dans les geysers. Pendant longtemps on pensait que les forces de marées étaient surtout au niveau de la couche de glace. Mais avec ces résultats il faut des déformations du noyau et une circulation interne, ce qui permet de stabiliser ces sources d’eau chaude et même de donner des conditions idéales pour l’apparition de la vie. »

La cible idéale pour la recherche de la vie

Encelade regroupe donc 3 des conditions fondamentales pour l’apparition de la vie : de l’eau liquide en grande quantité, une source de chaleur, et des molécules organiques complexes.

« Souvent dans l’exploration spatiale, on recherche des environnements habitables. On continue à en chercher sur Mars, mais on en a déjà trouvé sur Encelade ! Il y a tous les ingrédients pour que la vie s’y développe. Maintenant il faut analyser avec des instruments plus précis, parce que Cassini a été conçue dans les années 90 et pas pour ce travail. Aujourd’hui nous pouvons envoyer de vrais laboratoires portables de quelques kilos seulement. »

Du côté de la NASA, 2 projets ont en effet été proposés avec pour objectif d’étudier ces geysers et d’analyser les grains de glace et la vapeur d’eau. Mais sans atterrissage envisagé pour le moment, seulement pour détecter des indices d’une éventuelle vie sous forme de molécules qu’elle produirait.

« Il s’agit maintenant d’y retourner avec un successeur de Cassini, et de préciser si une activité biologique a pu s’y développer, conclut Gabriel Tobie. D’ici 10-15 ans peut-être, j’espère ».

Pour en savoir plus

Contacts scientifiques

  • Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire au CNES, francis.rocard at cnes.fr
  • Gabriel Tobie, chargé de recherche CNRS au laboratoire de planétologie et géodynamique, unité mixte de recherche du CNRS et des universités de Nantes et d’Angers, gabriel.tobie at univ-nantes.fr