Séducteur aux milles visages, Titan n'en fini pas de voler la vedette à Mars. Après avoir dévoilé une atmosphère animée par des tourbillons de nuages, des précipitations ou des tempêtes de poussières, Titan ouvre les portes de sa surface changeante. Les chercheurs y découvrent un équateur tapissé de dunes géantes, des pôles dotés de centaines de lacs et au Nord, trois grandes mers où rien ne semble figé. "Le dynamisme actuel de Titan, aussi bien géologique que météorologique, en fait l’un des meilleurs analogues contemporains de la Terre", résume Sébastien Rodriguez, planétologue à l'Institut de Physique du Globe qui a participé à une étude sur les lacs fantômes de Titan.

Cartes Cassini/RADAR du pôle nord de Titan. Les lacs d'hydrocarbures apparaissent en teintes bleutées. Crédits : NASA/JPL-Caltech/USGS.
Trois étendues liquides volatilisées
Ces lacs ont été observés sur des images prises par la sonde Cassini en 2006 mais ils n'étaient plus visibles sur les enregistrements réalisés sept ans plus tard. C'est pourquoi on les qualifie de lacs "fantômes". Durant cette période, Titan a glissé de l'hiver au printemps. En effet, Saturne et son satellite ont des saisons qui durent l'équivalent de sept années sur la Terre. De part son éloignement du Soleil (1,5 milliard de kilomètres), Saturne effectue sa révolution autour de l'astre en l'équivalent de 30 années terrestres.
Sans la prolongation de la mission Cassini-Huygens, qui s'est étalée sur plus de 13 années, les données n'auraient pas couvert des intervalles de temps aussi longs et l'impact des variations saisonnières n'aurait pas été identifié. À l'hiver 2006, l'instrument RADAR embarqué à bord de Cassini détectait trois étendues liquides de faible profondeur. En 2013, le spectromètre-imageur VIMS qui enregistre des images dans une large gamme d'infrarouge, balayait la même zone avec une résolution de l'ordre de quelques kilomètres. Bien que délicate, l'interprétation de ces enregistrements de nature différente, a abouti à des résultats congruents avec les relevés des caméras de l'instrument ISS : le contenu des trois lacs, visible en hiver, avait disparu à la saison suivante.

Crédits : MacKenzie et al., The case for seasonal surface changes at Titan’s lake district, Nature Astronomy (2019)
Le cycle du méthane informe sur les variations climatiques
"C'est la première fois que l'on voit une étendue liquide disparaître sur Titan. Cela vient confirmer la présence de phénomènes faisant évoluer la surface du satellite et représente par ailleurs une observation directe du cycle saisonnier du méthane ", signale Sébastien Rodriguez. Après l'azote, le méthane est le principal constituant de l'atmosphère de Titan, il y joue le même rôle que l'eau sur la Terre. Autrement dit, il participe à un analogue de cycle hydrologique incluant évaporation, condensation, précipitation, infiltration, ... A l'état liquide, il remplit les lacs et mers du satellite saturnien qui contiennent aussi, dans une proportion encore très mal connue, de l'éthane et des hydrocarbures plus complexes. L’efficacité avec laquelle le méthane s’évapore ou se condense nous informe sur les variations climatiques de Titan. Soumis à une évaporation plus forte au cours du printemps, le méthane des lacs fantômes se serait majoritairement échappé vers l'atmosphère et aurait partiellement disparu par infiltration dans le sol. Ainsi, l'évolution des lacs au fil des saisons pourrait servir de marqueur du cycle du méthane et, in fine, du climat de Titan.
Utiliser les lacs comme marqueurs
Deux autres publications de la revue Nature Astronomy datant d'avril vont dans le même sens. La première s'attache à comprendre l'influence des aérosols déposés à la surface des lacs. Tel un film d'huile, ils limitent probablement l'évaporation du méthane et par conséquent, la formation des nuages. La seconde porte sur des lacs d'une profondeur supérieure à 100 mètres, n'ayant pas d'autres apports que les précipitations. A partir des concentrations de méthane dans ces lacs, à l'équilibre avec celles de l'atmosphère, les chercheurs déterminent le taux d'infiltration dans le sol, de l'ordre de 1mm à 1 m par an. Ces études contribuent toutes à mieux comprendre le cycle du méthane sur cette lune lointaine et son évolution avec les saisons.
Quant aux lacs-fantômes, leur avenir demeure incertain. Savoir s'ils se rempliront à nouveau requiert une bonne dose de patience jusqu'au prochain hiver de Saturne, en 2031, et peut-être, une nouvelle mission vers Titan.
Contacts
- Sébastien Rodriguez, planétologue à l'Institut de Physique du Globe : rodriguez at ipgp.fr
- Francis Rocard, responsable du programme d'exploration du Système Solaire au CNES : francis.rocard at cnes.fr
Pour aller plus loin
The case for seasonal surface changes at Titan’s lake district, Nature Astronomy (2019)
Shannon M. MacKenzie , Jason W. Barnes, Jason D. Hofgartner, Samuel P. D. Birch, Matthew M. Hedman, Antoine Lucas, Sebastien Rodriguez, Elizabeth P. Turtle and Christophe Sotin