14 Septembre 2017

Grand Finale : les adieux de Cassini

Le 15 septembre 2017 marquera la fin de la mission Cassini, après 13 années passées à explorer le système de Saturne. À court de carburant, elle plongera dans l’atmosphère de la géante gazeuse pour nous en fournir les dernières données, avant de s’y désintégrer et que son signal ne se taise à jamais. Discutons des derniers instants de Cassini en compagnie de Philippe Zarka, directeur de recherche CNRS en astrophysique au LESIA, à l’Observatoire de Paris.

Pourquoi c'est la fin de cassini ?

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Cassini entre Saturne et ses anneaux en vue du Grand Finale, vue d’artiste. Crédits : NASA/JPL-Caltech

La raison principale à la fin de cette mission, c’est le manque de carburant : l’hydrazine, qui lui sert à faire les manœuvres.

« Il reste à Cassini entre 10 et 20 kg de carburant sur les 3 tonnes initiales, estime Philippe Zarka. Dont une partie est de toute façon inutilisable pour des raisons mécaniques. Mais l’hydrazine n’a servi qu’aux petites corrections de trajectoires, pour les petites erreurs qui se cumulent en 13 ans de missions. Les 3 tonnes n’ont pas servi à arriver jusqu’à Saturne. C’est la poussée initiale du lanceur et les rebonds planétaires (assistance gravitationnelle) qui ont fait le travail. »

Le risque désormais, ce serait de perdre le contrôle de Cassini. Si elle était livrée à elle-même, elle finirait fatalement par s’écraser quelque part. Notamment sur un satellite glacé de Saturne, que la sonde pourrait alors contaminer. Cassini a beau être passée à l’étuve, elle n’est pas stérile pour autant. Pour les véhicules spatiaux de façon générale, la fragilité de l’électronique empêche d’utiliser les méthodes de stérilisation les plus efficaces. Si bien que même après 20 ans dans le vide spatial, il reste possible que des bactéries ou des formes de vie latentes comme des spores aient pu survivre.

« L’enjeu est important puisque les prochaines missions à destination de Saturne y chercheront des signes de vie. Il ne faut pas polluer les surfaces d’Encelade ou de Titan, nous pourrions y trouver des organismes sans savoir si nous sommes en train d’étudier de la vie terrestre ou de nouvelles formes de vie. Au moins en rentrant dans l’atmosphère de Saturne, Cassini y brûlera et sera entièrement détruite, y compris les micro-organismes qu’elle transporte ».

Les derniers enjeux scientifiques

Plus qu’une destruction programmée, le Grand Finale de Cassini est l’occasion d’obtenir de nouvelles données encore plus près de Saturne, ce qui aurait été trop risqué en début de mission.

Comme l’expliquait Thierry Fouchet dans l’article sur L’héritage de Cassini, la descente permettra d’étudier la composition de l’atmosphère de Saturne et sa concentration en hélium. Pour Sébastien Charnoz, le Grand Finale consiste aussi à découvrir la masse et l’âge des anneaux. Selon Philippe Zarka, un des grands objectifs est aussi l’étude des émissions radio des aurores polaires.

« Les radioastronomes étudient les émissions radio des aurores, du Soleil et des planètes depuis plus d’un demi-siècle. Mais l’état des connaissances est très différent selon chaque sujet. Faire passer Cassini dans les sources aurorales de Saturne, c’est la possibilité de faire des mesures très précises, uniques, d’avoir sur place un véritable laboratoire de physique des plasmas. »

Et surtout, plus que compléter certaines connaissances, il reste des découvertes entières qui sont attendues du côté du champ magnétique très particulier de Saturne. Elle est en effet la seule planète du Système solaire à avoir un alignement quasi-parfait entre son axe magnétique et son axe de rotation.

« Ce champ magnétique axial est un mystère en soi. A titre de comparaison, le dipôle terrestre est incliné de 11° par rapport au pôle géographique. Actuellement, les modèles relient un champ magnétique avec les matériaux conducteurs de l’intérieur de la planète, mais il est difficile d’expliquer un champ aligné. Et pourtant, la magnétosphère de Saturne montre des modulations rotationnelles. Les flux de particules sont modulés par la rotation, les aurores aussi. Pourtant quand on a un champ axial, on ne devrait pas voir de phénomènes rotationnels. Donc en se rapprochant, nous espérons détecter des anomalies magnétiques pour expliquer ces termes non-axiaux et comprendre ce qu’il se passe à l’intérieur de Saturne. » 

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L’alignement du champ magnétique de Saturne, comparé aux autres planètes © adapté de Bagenal, 2002, "Encyclopedia of Astronomy and Astrophysics", Edited by Paul Murdin, Bristol: IOP Publishing.

Le déroulement du Grand Finale

Le Grand Finale de Cassini est un ensemble de 44 orbites. Les 22 premières ont eu lieu entre fin 2016 et avril 2017. Ce sont les orbites de l’anneau F qui ont permis à Cassini de frôler cet anneau situé à une distance de 2,3 rayons de Saturne. Puis en avril, elle a réalisé sa dernière manœuvre : après un ultime survol de Titan, Cassini a pu changer sa trajectoire pour passer entre Saturne et ses anneaux de glace. Ce sont les orbites proximales, les 22 dernières qui sont sur le point de se conclure.

« Les orbites de l’anneau F étaient très inclinées, précise Philippe Zarka, presque polaires, les orbites proximales aussi. Depuis avril, Cassini en a fait environ une par semaine. Elles sont si près qu’elles lui font raser l’ionosphère, seulement 1700 km au-dessus des nuages de Saturne. »

Le 12 septembre, Cassini a débuté son plongeon vers Saturne. Le 15 septembre à 13h53 heure française, ce sera le début de la rentrée atmosphérique. Les tous derniers kilos de carburant serviront à maintenir l’antenne radio de Cassini braquée vers la Terre pour garder le contact, malgré les forces de friction causées par la rentrée dans l’atmosphère. Après quoi la vitesse de la sonde et la densité de l’atmosphère allant en s’accroissant, Cassini partira en roulis en provoquant une perte de signal. La sonde poursuivra sa descente dans un panache incandescent qui clôturera 30 ans d’histoire spatiale.

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La destruction de Cassini dans l’atmosphère de Saturne, vue d’artiste. © NASA/JPL

Qui succédera à Cassini ?

Dans l’étude des géantes gazeuses de notre Système solaire, la sonde Juno de la NASA a pris le relai de Galileo (fin de mission en 2003) sur Jupiter, et sera rejointe par Juice de l’ESA en 2030. Mais aucune mission n’est encore prévue pour poursuivre l’étude de Saturne. Et les planètes au-delà, Uranus et Neptune, n’ont été que survolées sans avoir droit à la même attention. Alors que peut-on espérer dans les prochaines années pour l’exploration planétaire ?

« C’est difficile à prévoir, répond Philippe Zarka. Le problème avec la science spatiale c’est qu’il faut partager le budget entre les missions, les sondes et les télescopes. Ce qui serait intéressant, ce serait d’aller étudier Uranus et Neptune. Les astronomes avaient élaboré une théorie de formation pour les planètes du Système solaire externe avant de commencer à découvrir les exoplanètes. Pourtant la toute première exoplanète identifiée était une géante plus proche de son étoile que Mercure ne l’est du Soleil. Il a fallu réviser toute la théorie, et mieux prendre en compte la migration des planètes. En comparaison si nous ne nous étions basés que sur le Soleil pour étudier la théorie de la vie des étoiles, nous n’aurions rien pu faire. C’est en étudiant des milliers, des millions d’étoiles que nous avons pu établir une théorie. Pour la planétologie (l’étude physique des planètes) comparée, la démarche devrait être la même : chaque mission nous apprend énormément sur une planète particulière. Mais c’est en étudiant la physique de nombreuses exoplanètes que l’on saura ce qui est général et ce qui est particulier. »

Mais actuellement, il est impossible de nous rendre sur place en dehors de notre Système solaire : les distances sont trop grandes et les vitesses encore trop faibles. Il faut donc observer à distance les exoplanètes. Certains télescopes optiques/infrarouge commencent à y parvenir. Certains astronomes travaillent également à détecter les exoplanètes en radio, ce qui ouvrirait à l’étude comparée de leur magnétosphère. Et beaucoup d’espoir est placé dans le lancement dès l’année prochaine du James Webb Space Telescope. Bien plus puissant que Hubble dont il prendra la relève, il sera capable d’analyser jusqu’à la composition des atmosphères d’exoplanètes.

Pour en savoir plus

Contacts scientifiques

  • Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire au CNES, francis.rocard at cnes.fr
  • Philippe Zarka, directeur de recherche CNRS en astrophysique au LESIA, à l’Observatoire de Paris philippe.zarka at obspm.fr