30 Août 2017

Cassini-Huygens : retour sur 30 ans d’histoire spatiale

Cassini-Huygens est une double mission NASA-ESA à destination de Saturne et de ses lunes. A l’occasion de la fin de la mission, Christophe Sotin revient sur ce qui a inspiré ce projet, en tant que directeur scientifique pour l’exploration du Système solaire au JPL (Jet Propulsion Laboratory) de Pasadena.

La naissance d’une sonde interplanétaire

L’histoire de Cassini a commencé dès le début des années 80, lorsque les sondes Voyager 1 et 2 ont survolé Saturne. En 1980 et 1981, elles passent près de la planète pendant une dizaine de jours et en envoient à la Terre les images les plus précises jamais réalisées. Au même moment, les américains ont commencé à développer la sonde Galileo destinée à étudier Jupiter, et un groupe de scientifiques internationaux s'est réuni pour étudier une mission similaire pour Saturne.

« Au départ le projet a été initié par Daniel Gautier, Wing Hip et Tobias Owen, les trois pères fondateurs de la mission Cassini du côté des États-Unis. Les objectifs étaient partagés entre Saturne, ses anneaux et ses satellites. Il s’agissait d’étudier la dynamique de l’atmosphère, la structure interne, le rôle des petites lunes, leur âge et leur masse, de connaître leur composition de surface et leur évolution géologique »

Du côté européen, un groupe de scientifiques a proposé à l'ESA de contribuer à la mission par l'ajout d'une sonde d'étude, la sonde Huygens. En effet dès le début il a paru intéressant de concentrer la mission sur une lune en particulier : Titan, que les sondes Voyager avaient pu étudier mais dont elles n’avaient pas pu voir la surface à travers l’atmosphère dense d'azote et de méthane. La mission Huygens a été sélectionnée en novembre 1988.

« Roger-Maurice Bonnet (directeur des programmes scientifiques de l'ESA à l’époque) a porté la collaboration Cassini-Huygens. En fait cette collaboration Europe-États-Unis a même permis d’éviter que Cassini soit tout simplement annulée comme d’autres projets à cause des réductions de budgets à l’époque du président Reagan. C’est parce que la mission était internationale qu’une intervention politique de l'ESA, mais aussi de la France et d'autres pays, a permis la poursuite du projet. »

La longue route vers Saturne

C’est ainsi que le projet Cassini a été approuvé par la NASA fin 1989, et la construction du véhicule a commencé début 1990 au JPL. 5 équipes scientifiques interdisciplinaires se sont réparti le travail sur Saturne, la magnétosphère, Titan, les anneaux, et les petits satellites. 6 instruments ont été développés pour Huygens, le double pour Cassini.

« Pendant le développement de la mission, la coupure budgétaire a affecté la construction de la plateforme de pointage qui devait accueillir les instruments. Ils ont dû être fixés sur le corps même de Cassini, ce qui voulait dire qu’il serait impossible de faire fonctionner tous les instruments en même temps. Par la suite il y a eu d’intenses débats entre les équipes pour défendre l’utilité de leurs instruments et obtenir des données. Et c’est entre autres une des raisons pour laquelle la mission a été étendue jusqu’à aujourd’hui. »

Au total il a fallu 7 ans pour construire les deux sondes et les instruments qui allaient les équiper pour leur lancement en 1997 et pour leur long périple. 7 ans de plus ont été nécessaires pour atteindre Saturne, en effectuant deux survols de Vénus et une de la Terre pour profiter de l’assistance gravitationnelle et acquérir la vitesse nécessaire pour se diriger vers le Système solaire externe. C’est ainsi que Cassini a été mis en orbite le 1er juillet 2004.

« A l’origine, la mission devait durer 4 ans avec une promesse d’extension de 2 ans. Mais à terme en 2010, il a été décidé de la prolonger bien au-delà grâce à ses nombreuses découvertes, et aussi parce que la grande majorité des instruments fonctionnait bien. Si bien que 20 ans après son lancement, Cassini est toujours là-haut. »

Huygens, le passager

Quelques mois après l’arrivée autour de Saturne arrivait le grand jour : le 14 janvier 2005, la sonde Huygens larguée 3 semaines auparavant par Cassini, arrivait quelques 1600km au-dessus de Titan. Après une descente de 2 heures et demi, elle touchait le sol de Titan et envoyait ses images du sol à Cassini pour les relayer jusqu’à la Terre. Mais que s’attendait-on à y découvrir ?

« À l’époque de Voyager en 1980, on ne savait rien sur la surface de Titan », se souvient Christophe Sotin. « On savait que son atmosphère contenait du méthane, ce qui suggérait la présence d’océans d’hydrocarbures. Voyager avait aussi identifié le diazote comme composant principal de son atmosphère. La surface de Titan était donc une cible privilégiée pour la mission : Cassini a été équipée d'un radar pour voir la surface à travers son atmosphère, et du module Huygens pour aller sur place. Au cours du développement de la mission, les observations télescopiques ont montré que la caméra infrarouge permettrait aussi de voir la surface. Donc la mission a été construite directement à partir des observations. »

Les scientifiques savaient quoi chercher, mais pas ce qu’ils allaient trouver. Huygens était prévu pour être un module de descente, pas un atterrisseur. Lorsqu’il a touché le sol, ses batteries internes lui ont permis de continuer d’envoyer des images et des informations sur la composition de l’atmosphère et du sol pendant 30 minutes, après quoi il s’est éteint en laissant Cassini poursuivre sa propre mission.

Le grand finalE

Pour l’exploration spatiale, Cassini est un rêve commencé il y a plus de trente ans et qui s’apprête à se terminer. Depuis plusieurs mois, Cassini a entamé la fin de sa mission en passant entre Saturne et ses anneaux pour obtenir des données totalement inédites. Et le 15 septembre, elle tirera sa révérence en faisant une rentrée contrôlée dans l’atmosphère pour obtenir quelques précieuses dernières informations sur la planète aux anneaux avant de s’y désintégrer.

Le champ magnétique, la composition de son atmosphère, et surtout la masse des anneaux sont encore au programme de la sonde. Ses découvertes ont déjà changé la façon dont nous connaissons Saturne, ses lunes et ses anneaux, et nousa également permis de mieux comprendre le mécanisme de formation des planètes géantes de notre système solaire.

« Il n’y a pas un seul objectif scientifique qui n’ait pas été couvert », conclut Christophe Sotin. « Entre l’activité géologique et géothermale d’Encelade, entre l’atmosphère de diazote et le cycle du carbone de Titan, à elles deux ces lunes réunissent des conditions très similaires à celles de la Terre primitive. Cela soulève surtout de nouvelles questions sur l’apparition de la vie, qui est devenue envisageable autour de Saturne grâce aux découvertes de Cassini. Pour répondre à ces nouvelles questions, il faudra de nouvelles missions. »

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Cassini lors d'un passage entre Saturne et ses anneaux, vision d’artiste. Crédits : NASA/JPL-Caltech

Pour en savoir plus

Contacts scientifiques

  • Francis Rocard, responsable du programme système solaire au CNES, francis.rocard at cnes.fr
  • Christophe Sotin, directeur scientifique pour l’exploration du système solaire au Jet Propulsion Laboratory, christophe.sotin at jpl.nasa.gov