17 Mars 2015

Résultats Scientifiques obtenus par l'expérience CAPS

La magnétosphère de Saturne diffère de la plupart des autres environnements planétaires par le nombre et la complexité des sources internes de plasma qui y sont présentes. Outre le vent solaire et l'ionosphère de la planète elle-même, les satellites de glace, Mimas, Encelade, Téthys, Dionne et Rhéa, les anneaux et Titan constituent en effet des sources abondantes voire majeures du plasma magnétosphérique et déterminent pour l'essentiel sa composition. Les différentes populations de plasma magnétosphériques peuvent être utilisés comme traceurs et fournir des informations originales sur les mécanismes de production, de perte et de transport du plasma dans la magnétosphère de Saturne.

Parmi les nombreux résultats obtenus au LATMOS, au LPP et à l'IRAP à partir de l'analyse des donnés de l'expérience CAPS*, on peut notamment citer :

*Les travaux effectués au LATMOS, au LPP et à l'IRAP sur l'expérience CAPS ont été soutenus par le CNES, en particulier à travers le financement de deux bourses postdoctorales financés par le CNES de 2004 à 2006.

Détection et modélisation du halo ionosphérique autour des anneaux internes de Saturne

Modélisation du halo ionosphérique entourant les anneaux de Saturne
Modélisation (partie haute de la Figure) du halo ionosphérique entourant les anneaux de Saturne et comparaison du modèle avec les observations (partie basse de la Figure) obtenues par l'expérience CAPS à bord de Cassini (orbite d'insertion, juillet 2004). © Bouhram et al. (2006), André et al. (2008).

Plusieurs travaux ont suggéré l'existence d'une atmosphère ténue au voisinage des anneaux internes de Saturne et proposé comme mécanismes principaux de formation la photolyse ou le criblage des particules de glace par des particules énergétiques. Cependant, jusqu'à la mise en orbite de la sonde Cassini autour de Saturne le 1er juillet 2004, l'environnement proche des anneaux restait largement méconnu et les modèles proposés n'avaient jamais pu être directement contraints par les observations.

Les premières mesures effectués par Cassini lors de la manœuvre d'insertion, et en particulier les mesures de plasma dues à l'expérience CAPS, ont fourni des donnés totalement inédites qui ont permis de faire progresser notre compréhension de cette région de la magnétosphère de Saturne. Elles ont révélé l'existence, au voisinage des anneaux internes A et B, d'une ionosphère composé essentiellement d'ions O+ et O2+.

Ces observations peuvent s'expliquer par la présence d'une atmosphère d'oxygène moléculaire O2 autour des anneaux créé par décomposition photolytique de la glace constituant les grains. L'existence de cette atmosphère est rendue possible par la propriété des molécules d'oxygène de ne pas coller à la glace dans les conditions de température des grains et par conséquent de ne pas être perdues lors de leurs collisions avec les grains.

Un modèle à 2 dimensions décrivant la formation du halo ionosphérique entourant les anneaux a été récemment développé au CETP. Ce modèle est fondé sur une approche particulaire qui permet de prendre en compte les principaux mécanismes physico-chimiques qui régissent la formation des ions ainsi que leur transport au voisinage des anneaux de Saturne. Les résultats de ce modèle montrent un très bon accord avec les observations faites par le spectromètre IMS de CAPS.


Identification des populations d'électrons présentes dans la magnétosphère de Saturne

Identification de la frontière à 9 rayons saturniens à l'aide des données des instruments CAPS ELS et RPWS
Identification de la frontière à 9 rayons saturniens à l'aide des données des instruments CAPS ELS et RPWS à bord de Cassini. De haut en bas : spectrogramme temps - énergie de CAPS ELS, distribution en angle d'attaque (PAD, en degrés) des électrons d'énergie 217 eV, spectrogramme fréquence - temps de RPWS. L'apparition d'une population électronique de plus haute énergie au-delà de cette frontière apparaît très nettement, de même que l'évolution de la distribution en angle d'attaque qui n'est plus alignée au champ magnétique (à 0 et 180 degrés) et l'intensification des ondes à basse-fréquence à l'intérieur de cette frontière. © Schippers et al. (2008).

Dans les magnétosphères des planètes géantes, les sources de plasma sont très abondantes et variées, d'origine essentiellement interne au système (atmosphères, ionosphères planétaires et satellitaires, surface des satellites, anneaux), à l'inverse du cas terrestre où l'importance des sources externe (vent solaire) et interne (ionosphère planétaire) est comparable. Les magnétosphères des planètes géantes sont ainsi structurées en différentes régions et composées de plasmas de différentes caractéristiques et origines. Le couplage entre les différentes régions, notamment à leur interface où les échanges de masse, de quantité de mouvement et d'énergie sont très importants, est à l'origine de la dynamique de ces magnétosphères.

Les populations d'électrons du plasma magnétosphérique constituent un élément essentiel pour la compréhension de nombreux processus magnétosphériques clés; elles servent de traceurs pour la caractérisation des processus de diffusion et de transport du plasma, des interactions ondes-particules et du couplage entre les régions magnétosphériques et aurorales, dans l'atmosphère de Saturne, via la précipitation des particules le long des lignes de champ magnétique. L'acquisition en continu et sur une large gamme d'énergies des mesures d'électrons dans la magnétosphère de Saturne par Cassini permet d'étudier tous ces processus physiques et en particulier leur localisation spatiale, temporelle et leur distribution en intensité et énergie.

Une frontière magnétosphérique très marquée a par exemple été repérée à une distance de 7-9 rayons planétaires. Cette frontière apparaît comme une signature dans plusieurs paramètres magnétosphériques, coïncidant avec la présence d'une transition en angle d'attaque des électrons (qui ont des distributions alignées au champ magnétique au-delà de cette région), l'intensification d'ondes électrostatiques basse fréquence et le bord interne du courant annulaire (là où la contribution au champ magnétique magnétosphérique des courants liés au mouvement des particules chargées devient importante). Des observations similaires ont été reportées dans la magnétosphère jovienne, dans les régions où un fort couplage (via un système de courants alignés le long des lignes de champ magnétique) entre les régions magnétosphériques et les régions de la haute atmosphère de Jupiter se traduit par d'intenses et de permanentes émissions aurorales. L'analyse à venir des observations recueillies lors des orbites à haute latitude de Cassini autour de Saturne devrait permettre de préciser et de valider cette comparaison.


Inter-calibration des instruments plasma électron CAPS ELS et MIMI LEMMS à bord de Cassini

Spectrogramme distance radiale - énergie des observations de l'instrument CAPS ELS
Spectrogramme distance radiale - énergie des observations de l'instrument CAPS ELS à bord de Cassini (en haut : avant correction des effets des ceintures de radiation qui contaminent les mesures à l'intérieur de 5 rayons planétaires, en bas : après correction). Le potentiel photo-électrique est déterminé à partir de l'identification de l'énergie (en noir) des photoélectrons observés au-delà de 7 rayons planétaires.

Flux composite à 15 min de résolution des instruments CAPS ELS et MIMI LEMMS
Flux composite à 15 min de résolution des instruments CAPS ELS et MIMI LEMMS de Cassini (en bleu : flux calculés sur base des facteurs géométriques après inter-calibration, en vert : flux calculés sur base des facteurs géométriques initiaux). © Schippers (2009).

Les instruments CAPS ELS et MIMI LEMMS utilisent des technologies différentes pour mesurer les populations électroniques de la magnétosphère de Saturne, respectivement aux basses (1 eV - 26 keV) et aux hautes énergies (20 keV - >1 MeV). Ces instruments ont des bandes passantes différentes et leurs observations doivent être combinées afin de fournir une couverture complète des électrons depuis les énergies de l'ordre de l'eV jusqu'à la dizaine de MeV sans interruption de bande passante. L'étude du spectre étendu sur la totalité de la bande passante couverte par les deux instruments nécessite cependant d'harmoniser les jeux de données sur une même base d'unités physiques pour pouvoir ensuite être exploitées de manière quantitative.

Dans le but de construire les spectres composites des électrons sur une gamme d'énergie étendue à partir de ces deux instruments, les donnés brutes acquises par les instruments sont transformés en unités physiques communes indépendantes de la géométrie des instruments, les flux différentiels de particules (DNF, Differential Number Flux) ou intensités, que l'on exprime en keV-1s-1sr-1cm-2. A partir des donnés brutes en Coups par seconde, les flux différentiels des électrons sont calculés en utilisant les facteurs géométriques effectifs de chaque instrument. Les facteurs géométriques ont été calibrés à l'aide de prototypes au sol, de codes de simulation Monte-Carlo, du survol de la magnétosphère terrestre en 2000, et plus récemment grâce à l'inter-étalonnage des flux des instruments CAPS ELS et MIMI LEMMS. Une fois les jeux de données de CAPS ELS et de MIMI LEMMS harmonisés en flux, les premiers spectres composites ont été établis. Une majoration du flux à haute énergie de l'instrument CAPS ELS (20-26 keV) d'environ 10 fois celui du canal de plus basse énergie de l'instrument MIMI LEMMS a alors été mise en évidence. De nouveaux étalonnages des instruments ont été alors été nécessaires dans le but de converger vers des flux similaires.

Les mesures d'électrons de CAPS ELS sont par ailleurs sujettes à plusieurs sources de contamination, dues à l'interaction de la sonde Cassini et des instruments avec l'environnement magnétosphérique et dont l'effet peut se révéler important. Deux d'entre eux sont détaillés ci-dessous :

Effet des particules pénétrantes. La présence d'un bruit de fond indépendant de l'énergie est mesurée en permanence par l'instrument CAPS ELS. L'origine de ce bruit est imputée à la source de rayonnements énergétiques qu'émettent les générateurs thermoélectrique et de chauffage radio-isotopique (RTG et RHU) à bord de Cassini. La source de ce rayonnement est anisotrope et plus importante dans certaines positions d'actuateur et dans certaines anodes du détecteur. Il s'agit d'un bruit de fond faible, n'affectant pas les mesures dans les régions où le rapport signal sur bruit est important (par exemple dans la magnétosphère interne de Saturne). Dans les régions où le flux mesuré est proche du seuil de détection de l'instrument (par exemple dans les lobes et la magnétosphère externe de Saturne), le rapport signal sur bruit est faible et la source de contamination affecte significativement les mesures. Dans la région très interne de la magnétosphère (<6 rayons planétaires), les particules énergétiques piégées dans les ceintures de radiation de Saturne pénètrent dans l'instrument CAPS ELS et affecte la qualité des mesures de manière drastique. Cet effet peut néanmoins être corrigé en définissant la valeur du rayonnement pénétrant comme le taux de comptage minimum dans les canaux de haute énergie de l'instrument CAPS ELS.

Effet du potentiel du satellite : Photoélectrons artificiels. Le rayonnement solaire induit un effet photo-électrique sur la couverture thermique de la sonde Cassini, provoquant l'émission de photoélectrons de quelques eV. La sonde devient alors chargée positivement, accélérant les électrons du milieu. La conséquence en est que d'une part le spectre d'électrons est contaminé par la présence des photoélectrons et d'autre part l'énergie mesurée des électrons par l'instrument CAPS ELS est surestimée, ainsi que le flux. Cet effet peut être corrigé à l'aide des données de potentiel photo-électrique déterminé en identifiant l'énergie du pic des photoélectrons dans chaque spectre mesuré par l'instrument.

Au final et après quelques itérations, un nouveau jeu de facteurs géométriques effectifs de l'instrument CAPS ELS a été défini, fruit de la comparaison de l'ensemble des mesures des électrons par les différents instruments à bord de Cassini - ce qui permet de corriger les effets de potentiel satellite et de contamination par les ceintures de radiation - et de la comparaison des flux de CAPS ELS et MIMI LEMMS dans leur bande d'énergie commune - ce qui permet d'établir des spectres composites dans lesquels les flux de MIMI LEMMS apparaissent dans la continuité des flux de CAPS ELS.


Sources, transport et pertes du plasma dans la magnétosphère de Saturne

La région interne de la magnétosphère de Saturne
La région interne de la magnétosphère de Saturne observée (de haut en bas) par les instruments MAG (intensité du champ magnétique), RPWS (spectrogramme temps - fréquence), CAPS ELS (spectrogramme temps-énergie), CAPS IMS (spectrogramme temps - énergie) et CAPS ELS (densité électronique) à bord de Cassini (orbite A, octobre 2004). Vue globale (à gauche) et zoom (à droite) sur les signatures de tubes de flux sous-denses (vidés de leur contenu plasma) qui échangent leurs positions avec leurs voisins plus denses et qui sont ainsi transportés radialement vers l'intérieur de la magnétosphère. © André et al. (2007).

Les magnétosphères planétaires sont soumises simultanément à l'influence de la rotation planétaire et du vent solaire. La dynamique résultante peut être principalement dominée par la rotation rapide de la planète, ou alors contrôlée par le vent solaire. A l'intérieur des magnétosphères des planètes géantes, le plasma créé localement et continûment est piégé le long des lignes de champ magnétique et entraîné autour de la planète par la rotation de cette dernière. Le plasma créé par les sources internes ne pouvant s'accumuler indéfiniment, un système de circulation avec ou sans changement de topologie magnétique se met en place, permettant au plasma d'être évacué radialement vers les régions externes du système et d'être libéré dans le milieu interplanétaire, ou d'être perdu par recombinaison ions-électrons pour recréer des molécules neutres.

Un des problèmes clés de la physique magnétosphérique à Saturne est ainsi de comprendre comment des plasmas créés dans le vent solaire, dans la haute atmosphère de Saturne, et surtout par les satellites de glace de Saturne et par Titan, tout particulièrement Encelade qui se révèle être la principale source de plasma interne, alimentent l'ensemble de la cavité magnétique de Saturne, diffusent radialement, sont accélérés et finalement recombinent. Il s'agit de retracer l'histoire de l'évolution et de l'interaction mutuelle des différents plasmas dans une magnétosphère soumise simultanément à l'interaction avec le vent solaire et à la rotation planétaire.

Par le passé, plusieurs travaux théoriques ont suggéré que le transport radial du plasma des régions internes de la magnétosphère de Saturne où il est injecté vers les régions externes d'où il peut s'échapper vers le milieu interplanétaire résulte d'une instabilité centrifuge, c'est-à-dire, d'une instabilité de type Rayleigh-Taylor dans laquelle l'accélération centrifuge tient le rôle de la pesanteur. L'instabilité d'échange est en effet l'équivalent de l'instabilité convective, de type Rayleigh-Taylor, qui conditionne le mélange des couches adjacentes dans les atmosphères planétaires en présence de gravité. Sous l'effet de la force centrifuge produite par la rotation planétaire rapide, qui tend à entrainer le plasma vers l'extérieur, elle provoque de la même manière le mélange de coquilles magnétiques adjacentes alimentées par des sources de plasma distinctes à différentes distances radiales. Lorsqu'elle se développe, cette instabilité donne lieu à des mouvements d'échange entre tubes de flux magnétique, de telle sorte que les tubes de flux chargés de plasma se déplacent vers l'extérieur, tandis que les tubes vidés de leur contenu reviennent vers l'intérieur.

En utilisant entre autre les observations de l'instrument CAPS à bord de Cassini, des chercheurs de l'IRAP ont mis en évidence les signatures de ce mécanisme dans la magnétosphère interne de Saturne (région située entre 5 et 10 rayons planétaires), là où orbitent les satellites de glace. Ces signatures sont observées, qui plus est, lors de chaque orbite de Cassini. Ces observations soulignent ainsi l'importance du mécanisme d'échange de tubes de flux magnétique dans une magnétosphère en rotation rapide, telle que celles de Saturne et de Jupiter.