17 Mars 2015

Résultats Scientifiques obtenus par l'expérience PWA-HASI

L'expérience PWA-HASI de la sonde Huygens sur Titan a permis de déterminer la conductivité électrique de l'atmosphère et de la surface, et de révéler l'existence d'une résonance Schumann atypique, ainsi que la présence d'un océan d'eau ammoniaquée caché sous 60 à 80 km de la couche glacée de surface.

Après dix années de profondes analyses des données envoyées par la sonde Huygens qui s'est posée sur Titan le 14 Janvier 2005, des découvertes majeures ont été obtenues à partir des mesures d'ondes basses fréquences et de conductivité atmosphérique réalisées avec l'expérience "Plasma Waves and Altimetry" (PWA), un sous-système de "Huygens Atmospheric Structure Instrument" (HASI).

La conductivité atmosphérique a été mesurée avec précision en dessous de 110 km d'altitude au moyen de deux expériences actives : par Sonde à Relaxation impliquant alternativement les particules de charges positives et négatives, et par la technique d'impédance mutuelle (MIP) pour les électrons. Cette dernière expérience a mesuré également la conductivité du sol pendant plus de 32 minutes après l'atterrissage. Dans le mode passif de l'expérience, les spectres d'ondes basses fréquences captées par une antenne électrique et calculés à bord étaient transmis sur Terre via l'orbiteur Cassini dans deux bandes, de 6 à 96 Hz et de 180 à 11340 Hz.

Le résultat le plus surprenant concernant la conductivité atmosphérique est la découverte à 62 km d'altitude d'une étroite couche ionisée d'environ 25 km d'épaisseur, inattendue à une aussi basse altitude. Les modèles prédisaient en effet l'existence d'une telle couche à beaucoup plus haute altitude, produite par des radiations de haute énergie d'origine essentiellement galactique. Le désaccord avec les modèles existants avant la mission Cassini-Huygens est interprété comme une sous-estimation de l'efficacité des processus d'ionisation et recombinaison des aérosols ainsi que de leur distribution en altitude dans la troposphère de Titan. Les résultats de PWA ont permis de réajuster les modèles théoriques.

Concernant les ondes naturelles, le phénomène le plus remarquable observé pendant toute la descente, ainsi qu'au sol jusqu'à la perte par Cassini du signal de télémesure, implique l'existence d'une résonance de Schumann atypique piégée dans la cavité atmosphérique. Une telle résonance est connue seulement sur Terre pour être déclenchée par les éclairs d'orages et dont on présumait depuis longtemps que son existence sur d'autres planètes pourvues d'une atmosphère permettrait de révéler la présence à la fois d'une activité orageuse et d'un sol conducteur.

Bien qu'aucune activité orageuse n'ait été détectée après plus de dix ans de survol de Titan par Cassini, et que la surface ne se présentait pas du tout comme un réflecteur parfait, il fut cependant établi que l'onde observée présentait toutes les caractéristiques du deuxième mode harmonique sphérique de la cavité de Titan, avec une fréquence d'environ 36 Hz. Par ailleurs, l'existence prouvée, depuis le survol de Titan par Voyager 1 en 1980, de deux circuits électriques conjugués dans l'ionosphère de Titan, générés par l'interaction magnéto-électrodynamique du flux de plasma magnétosphérique de Saturne, pouvaient être la source d'alimentation d'une telle résonance Schumann.

Des développements successifs de modèles des propriétés électrodynamiques de l'ionosphère et de l'atmosphère, basés principalement sur les mesures de routine de l'orbiteur Cassini et contraints par les mesures de l'expérience PWA-HASI, ont permis de développer une théorie globale self-consistante des mécanismes de génération et de propagation d'une résonance Schumann dans la cavité sphérique de Titan.

En particulier, ces études ont permis de définir des contraintes sur l'épaisseur et la conductivité de la croûte de surface glacée. Ces contraintes proviennent en partie du fait que l'amplitude de la composante horizontale de champ électrique de l'onde électromagnétique de Schumann n'est pas nulle au niveau du sol. Pour que l'onde soit réfléchie à la base de la cavité, cela implique nécessairement la présence d'un milieu conducteur quasi-parfait, caché sous la surface. Cette condition, ajoutée à des considérations théoriques sur l'évolution de Titan et d'autres satellites glacés tels que ceux de Jupiter (Ganymède et Callisto, depuis leur accrétion jusqu'à nos jours, conduit à la conclusion que la surface conductrice souterraine ne peut être que la surface de séparation glace/eau de l'océan primordial probablement ammoniaqué, laquelle est contrainte par le modèle à se trouver entre 58 et 80 km sous la surface.

Ce résultat induit naturellement de nouvelles contraintes sur les processus régissant les interactions des probables molécules organiques avec l'eau liquide. Une telle chimie oxygénée est en effet essentielle pour la recherche d'éléments éventuels pré-biotiques dans l'intérieur de Titan. Le thème "Schumann-like resonances : hints of subsurface ocean" a été classé par l'ESA parmi les "T0P 10 Discoveries at Titan" à l'occasion du dixième anniversaire (Janvier 2015) de l'atterrissage de Huygens.

Les différentes étapes d'analyse des données et les développements théoriques associés aux résultats obtenus ont fait l'objet de plus d'une quinzaine de publications dans des journaux spécialisés et des congrès scientifiques internationaux, dont une sélection est présentée ci-après.

Références

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