17 Mars 2015

Résultats Scientifiques obtenus avec l'instrument DISR

Processus géophysiques

Vue en perspective du haut plateau situé 5 km au nord du site d'atterrissage
Vue en perspective du haut plateau situé 5 km au nord du site d'atterrissage. Le modèle en gris et en fausses couleurs indique l'altitude (en plus clair l'altitude la plus élevée). La région, qui couvre approximativement 1x3 km, comprend le réseau de chenaux ramifiés sur le haut plateau et une portion du lac asséché (en bleu). L'analyse stéréographique indique que les chenaux ont une largeur d'environ 200 m et une profondeur de 100 m avec des pentes atteignant par endroits 30°, proches de l'angle d'éboulement. Des écoulements rapides ont probablement créé ces vallées profondément incisées, avec une érosion due à des glissements de terrain abrupts sur leurs pentes (Tomasko et al. 2005).

Les images spectaculaires prises par les caméras de DISR montrent un plateau clair creusé d'un grand nombre de chenaux qui forment des réseaux de drainage. Les chenaux étroits convergent en de larges rivières qui se déversent dans une étendue sombre en contrebas. Les lits de rivières ont environ 100 m de profondeur et leurs pentes approchent 30°, ce qui suggère une érosion rapide par des écoulements violents. Près du site d'atterrissage, situé dans cette région sombre, on voit aussi des traces d'écoulement passé. Le site lui-même évoque un lit de rivière asséché, avec des galets arrondis, de 10 à 15 cm de diamètre, vraisemblablement constitués de glace d'eau, qui reposent sur un substrat granulaire plus sombre. Il fait peu de doute que c'est le méthane liquide qui a creusé ces chenaux et façonné ces paysages mais la fréquence des précipitations qui ont créé les réseaux ramifiés reste une question ouverte. Le matériau sombre qui couvre la vaste étendue sombre a pu être charrié par ces écoulements et pourrait être constitué de dépôts photochimiques. Les processus géophysiques qui ont formé ces structures apparaissent semblables à ceux à l'œuvre sur Terre même si les acteurs chimiques sont différents, la glace d'eau sur Titan jouant le rôle de la roche sur Terre et le méthane celui de l'eau.


Profil du vent

Image de la surface de Titan prise par DISR
Image de la surface de Titan prise par DISR après l'atterrissage. On distingue des galets de glace d'eau de 10 à 15 cm reposant sur un substrat de grains plus fins (Tomasko et al. 2005). Copyright : ESA/NASA/ Univ. Arizona

L'assemblage des mosaïques panoramiques de DISR fournit une trajectoire de descente comme élément du processus itératif de la reconstruction d'images. Cette trajectoire permet de déterminer la trace au sol de la sonde et d'extraire la vitesse du vent en fonction de l'altitude. La sonde a tout d'abord dérivé vers l'est, portée par des vents d'ouest (progrades) qui faiblissent de 30 à 10 m/s entre 55 et 30 km pour atteindre 4 m/s à 20 km. C'est la confirmation in situ de la super-rotation de l'atmosphère prédite par les modèles de circulation générale de Titan, bien que la vitesse observée soit un peu plus faible. Vers 7 km, près du sommet attendu de la couche limite atmosphérique, le vent est devenu quasi nul. Plus bas, la sonde a changé de direction, se déplaçant vers l'ouest à une vitesse d'environ 1 m/s vers 4 km d'altitude. On pense que la vitesse du vent à la surface était entre 0,3 et 1 m/s.


Structure de la brume

Panorama 'colorisé' de la surface de Titan
Panorama "colorisé" de la surface de Titan composé d'images prises entre 17 et 8 km par l'instrument DISR. Copyright : ESA/NASA/ Univ. Arizona

L'ensemble des mesures effectuées par DISR tout au long de la descente a permis de caractériser les propriétés optiques des aérosols photochimiques de 150 km d'altitude jusqu'à la surface. Il s'agit d'agrégats composés de plusieurs milliers de monomères, la taille du monomère n'excédant pas 0,05 micromètre. On en compte environ 5 par cm³ vers 80 km d'altitude. Plus haut, leur densité décroît, mais moins vite que celle du gaz, ce qui indique qu'ils sont formés dans la haute atmosphère. Leurs propriétés optiques sont similaires à celles des "tholins", des matériaux produits en laboratoire par décharge plasma dans des mélanges de diazote et de méthane. Les aérosols absorbent et diffusent préférentiellement le bleu, ce qui explique la couleur orangée de Titan. En dessous de 80 km, les propriétés optiques des aérosols changent quelque peu. Vers 30 km, les particules sont plus grosses et plus brillantes, peut-être parce qu'elles incorporent alors du méthane, tandis que, dans les premiers kilomètres, leur réflectivité diminue, ce qui pourrait être dû à l'évaporation d'une partie de ce méthane.


Absorption du méthane

Spectres enregistrés par le sous-instrument ULISSpectres enregistrés par le sous-instrument DLIS
Spectres enregistrés par les sous-instruments ULIS (regardant ver le haut) et DLIS (regardant vers le bas) de DISR à différentes altitudes. Les mesures sont distribuées à peu près aléatoirement en azimut. La lumière solaire est de plus en plus absorbée dans les bandes du méthane au fur et à mesure de la descente tandis que les fenêtres spectrales vers 930, 1070, 1290 et 1580 nm restent relativement transparentes (Tomasko et al. 2008c).

Les spectres infrarouges enregistrés par DISR en regardant vers le soleil mesurent la croissance de l'absorption du méthane au fur et à mesure de la descente. Grâce à la reconstruction précise du profil de descente de la sonde (azimut et altitude en fonction du temps), il a été possible de déduire des mesures DISR les coefficients d'absorption du méthane de 0,8 à 1,5 microns de longueur d'onde dans l'atmosphère de Titan. Ce travail délicat sera fort utile notamment pour analyser les spectres enregistrés à distance par l'instrument VIMS à bord de Cassini. Un résultat intéressant est que les coefficients utilisés jusqu'alors apparaissent inadaptés pour modéliser le spectre de Titan - et d'autres planètes comme Uranus et Neptune - car ils sont dérivés de mesures en laboratoire enregistrés dans des conditions de parcours, pression et température très différents de celles régnant sur Titan.


Abondance du méthane vers la surface et réflectivité de la surface

Réflectivité de la surface déduite du spectre enregistré
Réflectivité de la surface déduite du spectre enregistré avec la lampe à 25 m d'altitude au-dessus du site d'atterrissage de Huygens après correction de l'absorption du méthane (points) et obtenue après atterrissage (trait continu). La surface est relativement sombre et présente une absorption large vers 1,5 micron vraisemblablement due à la glace d'eau. De plus, la réflectivité décroit continûment de 0,8 à 1,5 micron, ce qui reste inexpliqué (Jacquemart et al. 2008).

Grâce à sa lampe de surface, DISR a obtenu, à une altitude de 25 m, un spectre de réflectivité de la surface sur lequel se superposent les bandes d'absorption du méthane. En utilisant de nouvelles mesures en laboratoire dans des conditions proches de celles de ce spectre avec lampe, il a été possible de déterminer très précisément l'abondance du méthane à la surface (5,1%), qui correspond à une humidité proche de 50%. Quant à la réflectivité de la surface, elle est maximale dans le rouge, vers 0,8 micron de longueur d'onde, et rappelle, dans le domaine visible, celles des "tholins" évoqués plus haut. On observe dans l'infrarouge une absorption due à la glace d'eau à la longueur d'onde de 1,54 micron mais la caractéristique la plus inattendue est une décroissance régulière de le réflectivité de 0,8 à 1,5 microns. Ceci reste aujourd'hui inexpliqué et des travaux sont en cours pour évaluer si des mélanges de glace et de certains composés organiques peuvent reproduire ces caractéristiques spectrales.


Bilan radiatif de l'atmosphère

Transmission de l'atmosphère de Titan
Transmission de l'atmosphère de Titan, due au méthane uniquement, en fonction de l'altitude dans la direction du Soleil à différentes longueurs d'onde (symboles). Les données sont ajustées par des sommes exponentielles à chaque longueur d'onde échantillonnée par l'instrument (traits continus). Les tables de coefficients ainsi obtenues permettent de modéliser au mieux l'absorption atmosphérique à la résolution spectrale de DISR (environ 17 nm) (Tomasko et al. 2008a).

Les spectres visibles et infrarouges collectés par DISR tout au long de la descente ont permis de déterminer l'absorption du flux solaire (par le méthane et les aérosols) et donc le taux de chauffage solaire en fonction de l'altitude. Celui-ci a pu être comparé au taux de refroidissement radiatif calculé en utilisant les spectres d'émission thermique enregistrés par l'instrument CIRS à bord de Cassini. En effet, à partir de spectres enregistrés au limbe et au nadir vers la même latitude (10°S), on a pu déterminer les profils verticaux d'abondance des gaz et d'opacité des aérosols, calculer alors le flux thermique en fonction de l'altitude, et en déduire le taux de refroidissement radiatif. Le taux de chauffage radiatif excède le taux de refroidissement avec un écart maximum vers 120 km. C'est la circulation générale qui vraisemblablement redistribue cet excès de chaleur vers les plus hautes latitudes. Ce travail, qui fournit un bilan radiatif précis à une latitude et une saison donnée, permet de mieux contraindre les modèles de circulation générale de l'atmosphère actuellement développés.